Les Chroniques de Drik : Chapitre 1


- Drik !!

La voix du fermier résonna comme un coup de tonnerre. Tamsen Tork,  sortit un morceau de tissu de la poche de son pantalon et s’essuya le front et le visage. Les gouttes de sueur qui coulait le long de son cou témoignaient de l’effort intense qu’il venait de fournir. Il contempla le tas de bois avec un air de satisfaction sur le visage,  estimant qu’il y en avait assez pour passer l’hiver.  Les premiers froids n’allaient plus tarder maintenant. Il planta fermement sa hache dans la souche qui faisait office de billot, et réitéra son appel :

- Drik !! Viens ici, y’a du bois à rentrer !!

Jamais là quand on a besoin de lui, pensa –t-il. Ne voyant personne vernir, il se dirigea vers la maison. C’était une petite ferme avec deux étages, faite principalement de pierre et de bois, avec un toit recouvert  de fagots de roseaux séchés. Le rez-de-chaussée était constitué d’une unique pièce. A droite de la porte d’entrée un coin servait de cuisine tandis que de l’autre coté de la pièce, une imposante  table avec de chaque coté un banc pouvait permettre à huit personnes de partager un repas. Une grande cheminée servait à la cuisson des aliments et au chauffage de l’habitat.  Deux fenêtres laissaient entrer suffisamment de lumière pour se passer le plus longtemps possible de la lanterne dont l’huile représentait un des seuls luxes qu’ils pouvaient s’offrir. Un escalier menait à l’étage ou se trouvaient deux chambres, dans la plus grande, un lit unique pour accueillir le fermier et sa femme, dans la seconde, trois petits lits.

La porte grinça doucement lorsque Tamsen entra dans la pièce. Il s’approcha de la table sur laquelle était posé un récipient rempli d’eau, saisit la louche qui en dépassait, la porta à sa bouche et bu deux grandes gorgées. Après avoir reposé la louche, il s’essuya les lèvres et le menton du revers de la main, puis se retourna pour s’adresser à sa femme, Ghuylma. L’épouse du fermier était à la cuisine, occupée à la préparation du diner, l’après midi était déjà bien avancé.

- Sais-tu où il s’est encore fourré ? Il faut rentrer le bois maintenant car il va certainement pleuvoir cette nuit.

Le fermier n’avait pas besoin de préciser de qui il voulait parler. Sa femme savait bien que c’était toujours le même qui manquait à l’appel, aussi bien pour les taches liées à l’exploitation de la ferme que pour le reste. Tout en continuant à pétrir la pate qui deviendrait bientôt un délicieux pain dont tous raffolaient, elle tourna la tête vers son mari et soupira :

- Je ne l’ai pas vu depuis le déjeuner, il est surement parti faire un tour dans la forêt, comme toujours.

- Maudit garnement qui préfère se promener et s’amuser plutôt que m’aider. Dis-moi ce qu’il peut bien lui trouver à cette forêt ? Pour y passer autant de temps ! – puis la voix plus calme - Et Tilma et Sorg ? Que font-ils ces deux là ?

- Je viens de les envoyer chercher de l’eau au puits.

Pendant quelques secondes Tamsen regarda sa femme, toujours aussi belle et séduisante que le jour de leur première rencontre se dit-il. Lui était le dernier fils d’une famille de fermiers d’un petit village aux alentours de Molek, la plus grande ville de la région.  Il accompagnait régulièrement son père qui allait vendre sa production au marché de Molek, deux fois par semaine. C’était le rendez-vous incontournable de la population locale et avoisinante.  C’est là qu’il l’avait remarquée, quand elle venait lui acheter quelques légumes. Son doux visage, ses longs cheveux blonds, sa peau claire, son corps frêle, tout en elle lui plaisait, lui le garçon rustre. Au début ils échangèrent quelques regards, puis les premiers mots, et finalement elle venait même les jours ou elle n’avait rien à acheter. Il la prit pour épouse l’année suivante. Ces images du passé finirent de le calmer.

Tamsen ressorti de la maison, fit quelques pas et s’arrêta pour observer les alentours de la ferme dans l’espoir d’apercevoir son ainé. Sa naissance , il y a maintenant douze ans, avait rempli Tamsen de joie et de fierté. Aujourd’hui il y avait moins de joie, car il passait plus de temps à s’énerver et crier après lui qu’il n’aurait pu l’imaginer. Cependant il y avait toujours autant de fierté, car même si l’enfant ne répondait pas à ses attentes quotidiennes, il n’aurait su expliquer pourquoi,  mais il ressentait au plus profond de lui que son fils n’était pas ordinaire. Il avait le sentiment qu’il deviendrait quelqu’un, pas un simple fermier comme lui, arrivant tout juste à nourrir sa famille.

Jusqu’à la naissance de Drik, le jeune couple avait vécu à la ferme des parents de Tamsen. Ceux de son épouse avaient clairement fait savoir qu’ils ne souhaitaient n’avoir aucun contact d’aucune sorte avec eux. Petits artisans à Molek, ils avaient certainement d’autres ambitions pour leur fille, qu’une vie de fermière. Tamsen n’en avait cure et avait simplement espéré que son épouse ne souffre pas de cette décision.  Avec  l’arrivée du nouveau né, le temps était venu de partir et de fonder leur propre foyer. Peu argenté, ils n’avaient pu acheter de ferme dans les environs proches de Molek, les quelques rares ventes étaient bien au dessus de leur possibilités. Tamsen avait alors décidé d’utiliser ses maigres économies pour acheter quelques outils et ils étaient partis s’installer loin de la périphérie de la ville, là où la terre n’appartenait à personne. Ils avaient trouvés un petit coin qui leur semblait idéal, au nord-ouest de Molek, à une journée de marche. Les plus proches habitations se trouvaient à mi chemin entre eux et la ville. Cet isolement n’effrayait pas Tamsen. La parcelle avait tout de suite plu au fermier. Située à la lisière de la forêt, ils ne manqueraient pas de bois et la terre semblait riche au vue de la végétation. Son œil aguerri avait rapidement remarqué un endroit plus humide, la possibilité de trouver de l’eau était un point essentiel dans le choix de l’emplacement. Le puits avait été sa première réalisation, la maison avait suivi, le temps de dénicher aux alentours suffisamment de pierres car il ne souhaitait pas qu’elle ne soit que de bois. Ils avaient passés les premières semaines dans une cabane de fortune. Drik, alors âgé de seulement quelques mois ne paru pas trop souffrir de ces conditions difficiles. Tamsen bénit son épouse de lui avoir donné un fils avec une constitution robuste.

Les souvenirs du passé continuèrent à défiler dans son esprit. Il se souvint avec tristesse de la mort de son second fils. Il était né environ un an après Drik, mais n’avait survécu que quelques semaines, emporté par une maladie. Et puis l’année suivante était arrivée Tilma, qui ressemblait en tout point à sa mère. Treize mois plus tard, c’était au tour de Sorg de venir au monde, non sans difficulté. Tamsen avait du aller chercher de l’aide à Molek. L’accoucheuse qui était revenue avec lui leur avait dit que ce serait le dernier,  Ghuylma ne pourrait en avoir d’autres.  Ils se réconfortèrent de la présence des trois enfants et pleurèrent celui disparu.

Tamsen secoua légèrement la tête comme pour en chasser les images du passé, et revenir à ce qui le préoccupait maintenant : où pouvait bien se trouver Drik alors qu’il avait besoin de lui ?

A droite de la maison, la remise qui servait à abriter les outils et le bois coupé semblait vide. Devant lui à environ une cinquantaine de pas il pouvait apercevoir les deux plus jeunes en train de puiser de l’eau. En les observant, le fermier se dit qu’il pouvait compter sur eux, toujours prêt à participer au différentes tâches, sans rouspéter, toujours joyeux. Il les regarda faire, et ne pu retenir un sourire : pendant que l’un remontait le seau plein du précieux liquide, le second s’amusait à mettre les mains dans la bassine posée par terre pour l’éclabousser. Au seau suivant, ils inversaient les rôles. Et tout ceci dans les rires et les cris. Pourtant le fermier ne put s’empêcher de penser que la vie serait certainement plus dure pour eux que pour Drik. Autant il était fort et robuste, autant ils étaient chétifs et fragiles. Autant il était doué dans tout ce qu’il entreprenait, autant ils n’avaient aucune aptitude particulière, si ce n’était leur bonne volonté, leur joie de vivre et l’amour pour leurs parents.  En pensant à cela, Tamsen sentit de nouveau une irritation monter en lui. Comment pouvait-on avoir autant de qualités…et ne rien en faire ! Cela dépassait sa conception des choses.

Derrière le puits se trouvait un enclos avec quelques bêtes. Des chèvres pour le lait et des cochons pour la viande.  Lorsque les cochons n’étaient pas assez nombreux, il complétait par du gibier. Tamsen n’était pas un grand chasseur mais la région était si riche en gibier qu’il était difficile de rentrer bredouille. A coté de l’enclos, un petit champ ou broutait une vieille jument qui servait pour les labours et pour tirer diverses charges. Tamsen savait que lorsqu’elle mourrait il lui serait difficile de se passer de son aide, mais pour le moment il ne savait pas comment il pourrait s’acheter un autre cheval. Aussi la ménageait-il pour qu’elle dure le plus longtemps possible.

A gauche de la maison, s’étendaient les parcelles cultivées. La plus grande partie de la production était consommé par les cinq occupants de la ferme, mais Tamsen arrivait à mettre quelques produits de coté. Il se rendait régulièrement au village le plus proche, Pydorf, à une demi-journée de marche,  pour y faire un peu de troc. Il ramenait principalement de l’huile pour la lanterne, du sel, du savon, de la farine, des tissus et toutes les choses qu’il ne pouvait produire ou fabriquer lui-même. Globalement ils ne manquaient de rien mais n’avaient aucune richesse matérielle. Même lorsqu’il se rendait au village, Drik ne l’accompagnait pas. Cela attristait fortement Tamsen car il ne pouvait s’empêcher de penser à l’époque ou lui-même s’en allait avec son père au marché de Molek. Au début, il y allait tout seul, et quand Sorg fut assez âgé il décida de l’emmener avec lui, le chemin lui paraissait plus court ainsi. L’expédition était bien rodée : la veille au soir il remplissait la petite carriole avec ses produits, dès l’aube il attachait la carriole à la jument, il hissait Sorg sur le dos de la jument, la carriole ne disposant pas de siège. Et les voilà partis, Tamsen marchait à coté de la jument, le plus souvent une main sur la bride, au cas où, même si la vieille jument ne s’emballait plus depuis déjà longtemps. Ils arrivaient au village un peu avant midi, ce qui laissait assez de temps à Tamsen pour vendre de quoi se payer un repas dans la seule auberge du village. Ensuite il faisait le tour des différents marchands pour troquer ce dont ils avaient besoin. Après cela il était temps de reprendre la route pour arriver avant la nuit. Sorg parlait autant à l’aller qu’au retour, à l’aller de ce qu’il allait voir, au retour de ce qu’il avait vu, ce qui parfois différait un peu. C’était toujours une journée impressionnante pour lui, autant de monde en si peu de temps.

Comme Tamsen s’y attendait, rien en vue. Il fit le tour de la maison, la lisière de la forêt était là devant lui, à quelques pas. Il ne comprenait pas l’intérêt que Drik pouvait y porter.  Tamsen n’était pas homme à s’effrayer facilement. Mais personne n’aimait vraiment devoir s’aventurer dans la forêt maudite. Elle avait été ainsi nommée car il y a longtemps, fort longtemps de cela, des gobelins y vivaient. Les villages proches de la forêt faisaient souvent l’objet d’attaques. Les gobelins ne s’en prenaient qu’aux villages les plus petits, et agissaient par groupes composés de quelques individus.  Leur motivation résidant principalement dans le vol de bétail et autres nourritures, attaquer des  villages plus importants aurait été trop risqué. Cependant il arrivait fréquemment qu’un fermier cherchant à protéger son bien se fasse tuer. Mais les incidents n’étaient pas assez nombreux pour que le gouverneur de Molek, bien qu’en charge de l’ordre dans la région, n’ordonne à ses troupes d’intervenir. Les morts causées par les attaques de gobelins étaient bien moins nombreuses que celles dues aux brigands sur les routes ou bien aux bagarres en tout genre dans les tavernes. Mais un jour lors d’une nouvelle attaque les gobelins auraient tués un fermier parent très éloigné du gouverneur.  La rumeur populaire raconte que la femme du gouverneur aurait fortement insisté pour que justice soit faite, et que celui-ci n’aurait pas hésité bien longtemps à mobiliser quelques soldats de Molek afin de restaurer la quiétude de son ménage. Les attaques de gobelins se déroulaient toujours par très petits groupes, aussi personne ne se doutait que la forêt pu en être envahi. La trentaine de soldats qui y pénétrèrent y furent massacrés. Aucun n’en réchappa.  Le gouverneur envoya alors la totalité des soldats stationnés à Molek ainsi que dans les villages alentours. Une petite armée d’un millier d’hommes. Ils trouvèrent le camp des gobelins, environ trois cents en comptant les femelles et les petits. Les soldats étaient beaucoup plus nombreux et plus entrainés à la guerre que leurs adversaires mais le terrain les désavantageait si bien que les pertes étaient aussi nombreuses dans les deux camps. Après plusieurs heures de combat dans les bois, les hommes avaient tués environ deux cents gobelins et avaient perdus autant des leurs. La centaine de gobelins qui restaient, s’enfuirent vers l’ouest. Les soldats les perdirent dans les bois et retrouvèrent leur trace trop tard. Les gobelins avaient quittés la forêt et s’étaient évanouis dans les montagnes. Le capitaine ordonna à ses hommes de rentrer, une poursuite en terrain montagneux était inutile. Depuis ce jour cette forêt est appelée maudite car beaucoup d’hommes y sont morts pour satisfaire la femme du gouverneur. On dit que désormais la forêt serait déserte, les gobelins seraient restés dans les montagnes et les hommes n’ont pas souhaités y vivre, la considérant contre une frontière entre eux et ces créatures sauvages.

Tamsen observait attentivement l’orée du bois, mais rien ne semblait bouger.

- Drik !! 

Habituellement sa forte voix portait loin, mais la forêt lui semblait si dense qu’il doutait que Drik aurait pu l’entendre s’il s’y était profondément aventuré. Il tendit l’oreille, mais aucune réponse. Il s’approcha un peu plus des premiers arbres, on ne distinguait pas grand-chose au bout de quelques mètres, si ce n’était d’autres arbres et  une végétation dense, comme si la forêt voulait empêcher qu’on y entre, ou bien qu’on en sorte. Soudain Tamsen perçut le craquement d’une branche et ce qui ressemblait à des bruits de pas, des bruits rapides, quelqu’un ou quelque chose courait et se rapprochait très vite de lui.

- Drik ? C’est toi ?